BNP Paribas et l’artwashing face au génocide

Comment contraindre un marché de l’art international marqué par les malversations, le blanchiment et la fraude fiscale, quand celui-ci s’associe à des institutions financières qui investissent dans la fabrication d’armes et dans l’apartheid ? C’est tout le système, et l’argent qui y circule, qui sont sales.

Comme l’écrivait Hito Steyerl en 2016 : « les industries artistiques provoquent une économie du ruissellement à contre-courant, où l’argent est orienté vers les paradis fiscaux. » Elle expliquait que « l’économie de l’art détourne les investissements de la création d’emplois stables, de l’éducation et de la recherche, et qu’elle externalise les coûts et les risques sociaux. Elle contribue à la gentrification des quartiers tout en sous-payant les travailleuses et travailleurs essentiels à son écosystème, tout en spéculant à travers un discours mensonger. » Cela est plus vrai que jamais.

Pendant ce temps, des banques comme BNP Paribas – premier investisseur européen dans des sociétés activement impliquées dans les colonies illégales en Palestine, et principal créancier européen d’entreprises d’armement fournissant l’armée israélienne – continuent d’affirmer que leur engagement dans la culture s’inscrit dans leur « lutte contre toutes formes de discrimination ». Si l’art ne tue ni ne mutile directement, son potentiel émancipateur ou politique perd tout sens face aux vies brisées des Palestiniens, alors que des artistes et des institutions culturelles acceptent des financements ou des partenariats avec les mêmes acteurs financiers qui investissent dans des bombes et des drones.

L’appel au boycott académique et culturel d’Israël (PACBI) a été lancé en 2004 par des dizaines de syndicats, associations et fédérations palestiniennes – enseignants, artistes, femmes, journalistes, avocats. Dans le cadre du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), leurs principes sont clairs : si les institutions culturelles refusaient de collaborer avec les financiers du génocide, elles empêcheraient ces derniers de blanchir leurs investissements au nom de l’art, et exerceraient une pression concrète pour qu’ils se désinvestissent d’Israël, de son armée et de ses colonies.

Dans ce sens, l’appel du BDS dans le monde de l’art a une portée limpide : il sape les « revendications d’autonomie et les effets émancipateurs » de l’art, comme l’a écrit Vijay Masharani en 2020 dans No Words: On the Status of BDS within Contemporary Art. Dès lors, il ne reste que deux positions possibles : soit refuser d’être complice, soit refuser la demande exprimée par la société civile palestinienne. « À ce moment critique », écrivait Masharani, « ce dernier choix devrait déjà être impensable. » Cinq ans plus tard, après 18 mois de génocide et plus de 60 000 Palestiniens tués à Gaza et en Cisjordanie, ce moment critique semble désormais lointain – et les choses n’ont fait qu’empirer.

Quand la foire d’art contemporain Art Paris a annoncé, en début d’année, un partenariat premium avec BNP Paribas, cela n’a fait ni la une des journaux, ni de bruit – alors même que le génocide s’intensifiait. BNP Paribas finance pourtant d’autres institutions culturelles de premier plan, telles que le Centre National de la Danse, Chaillot – Théâtre national de la Danse, ou encore la Villa Médicis. Le jour de l’ouverture d’Art Paris, le 3 avril 2025, l’armée israélienne tuait 112 Palestiniens : trois écoles et de nombreux foyers étaient visés. Le deuxième jour, 38 Palestiniens mouraient sous les frappes aériennes dans le nord et le sud de Gaza, tandis que l’embargo sur l’aide humanitaire durait depuis un mois. Le troisième jour, 30 autres Palestiniens étaient tués. Lors du dernier jour de la foire, 44 personnes perdaient à nouveau la vie.

Pendant ce temps-là, à Art Paris, sous les coupoles dorées du Grand Palais, le directeur de la filiale privée de BNP Paribas félicitait le lauréat de leur prix en lui remettant 40 000 euros pour sa représentation de « la banalité du quotidien », une œuvre qui « intègre les symboles d’un monde qui change ». Masharani nous rappelle : « nous devons empêcher les marchands d’armes et les autocrates d’exploiter cyniquement le pouvoir transcendant associé à l’art contemporain. » Car dans ce contexte, « l’art blesse, de manière lointaine, à la fois en termes d’espace et de temps. »

Mais l’art n’est pas distant. Et le quotidien n’a rien de banal lors d’un génocide. Il est, comme le décrit Rasem Nabhan depuis Gaza, fait de « corps, de morceaux de corps, de blessés, et de beaucoup de sang ». Il est fait de séparation d’enfants d’avec leurs familles, de pénuries d’eau, et de scènes telles que celle décrite par Asmaa al-Masri : découvrir que le corps démembré de son mari est resté trois jours dans une ambulance, bloquée sur la route vers l’hôpital.

L’art, dans une foire, devient une marchandise prétendument sans venin. Mais le boycott, dans ce contexte, est un projet spécifique, et urgent. Il vise à interrompre le flux d’argent qui alimente un génocide. Mettre suffisamment de pression sur des acteurs comme BNP Paribas pourrait conduire à un désinvestissement. Si on ne peut compter sur leur éthique, on peut compter sur leur attachement à l’accumulation. Si leur réputation est suffisamment entachée pour nuire à leurs profits, alors peut-être que le financement des missiles balistiques, des mitrailleuses ou des drones pilotés par IA s’arrêtera.